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 L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: Nico 
Date:   03-05-2003 12:02

Bonjour à tou(te)s!

Dans l'avant-dernier numéro de l'Œil électrique (numéro 27), à découvrir une très belle et trop courte série de portraits réalisés par Song Chao, mineur de 22 ans, qui a photographié quelques uns de ses collègues des mines de charbon en studio improvisé, fond blanc. La puissance d'évocation du style d'Avedon, la beauté des regards, des mains, des visages… Cette série, vraiment trop courte, me fait penser que l'inspiré (Song Chao) a dépassé l'inspirateur (Richard Avedon), en y assimilant une pincée de regard "sociologique" à la Lewis Hine, August Sander ou Eugene Smith.

Très beau travail, à vous de voir!

N


 
 Re: L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: Nico 
Date:   03-05-2003 19:29

Re-bonjour!

Pour jeter un œil avant de se décider, voilà le lien du magazine:

http://www.oeil-electrique.org

Mais une seule image est présentée… :-(

Et dites-moi ce que vous en pensez, ça me passionne: ce photographe est-il, selon vous:
- un artiste?
- une pute?
- un nuage au fond d'un étang?
- un maquereau?
- un artisan?
- une pomme verte?
- un mineur?
- un jeune?
- une idée?
- un éperlan?
- un vieux?
- un reflet dans un œil d'or?
- une poule qui aurait perdu la peau de l'ours?
Allez, le débat est ouvert, la saison de la catégorisation et de la mise en boîte est ouverte, défoulez-vous!

Plus sérieusement, plutôt que de se chamailler (je dis ça gentiment :-)) sur qui fait quoi et comment et quel droit cela donne-t-il de dire ceci ou cela, prenons le temps d'ouvrir les yeux sur les travaux des autres, une photographie, c'est fait pour être vu, non? Surtout quand, comme c'est le cas pour ce travail, quelque chose nous est donné à voir.

N


 
 Re: L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: Jimmy Péguet 
Date:   03-05-2003 22:05

Si j'ai souvent entendu parler de l'Œil électrique, je n'en ai jamais eu d'exemplaire en mains. Je vais essayer d'en trouver un dans un rayon de cinquante kilomètres autour de chez moi.

Pas facile de délirer ou de dire grand chose sur une photo unique, de surcroît au format timbre-poste. J'ai toujours un peu de méfiance envers les textes enthousiastes des découvreurs branchés, mais la photo est forte et prenante. Dis-en un peu plus : qu'est-ce qu'elles ont qui te fait tourner la tête, ces photos ? (citer Avedon ou Hine me laisse un peu sur ma faim).


 
 Re: L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: Nico 
Date:   04-05-2003 21:24

Salut-bonsoir!

Pour commander ou s'abonner, je crois que ça doit être faisable sur le site.

Je ne suis pas resté longtemps sur le texte, il ne m'a pas parlé du tout (je parle de celui de la version papier, je suppose que celui sur le site est au pire une version condensée). Quant aux images, sans aller jusqu'à dire qu'elles me font tourner la tête (ça, c'est réservé à d'autres choses… :-)), il est vrai qu'elles me parlent. Ces gens, j'ai l'impression qu'ils me racontent un peu ce qu'ils sont: des mineurs, parfois fiers, certains fatigués, d'autres ont l'air surpris ("pourquoi il faut que je pose? Bon, d'accord…"), quelques uns joueurs, d'autres soucieux… J'aime le fait que je ne décèle pas de misérabilisme, les images ne servent pas non plus à bâtir un piédestal à la gloire du camarade mineur de fond, et la sobriété du résultat me plaît énormément: le propos passe à travers quelque chose de transparent, la technique s'efface en restant présente. Le peu d'images que je vois échappe au type de la série, chaque portrait est bien différencié de son voisin, le photographe ne cherche pas à établir un portrait moyen du mineur chinois des années 2002. Un mineur a fait des portraits de mineurs avec qui il travaille, quelque part au fin-fond de la Chine (c'est le cas de le dire).

Je ne compare pas à Avedon ou Hine ou Smith, mais je crois lire des liens de parenté, des affinités qui mettent encore plus les images en relief.

Mais bien sûr, tout ceci n'engage que moi!

N


 
 Re: L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: Marc Genevrier 
Date:   05-05-2003 14:58

Bonjour,

Je vous livre quelques réflexions. Je me trompe peut-être, mais je crois au contraire que beaucoup de choses opposent ces images à celles d'Avedon. Chez Song Chao, la force des images provient beaucoup de la force du sujet, la force physique des mineurs, la force mentale qu'on lit dans leurs regards. Certes, il n'y a pas de volonté sociologique de trouver un archétype du mineur de fond, il respecte bien la personnalité de chacun, mais la technique contribue tout de même, à mon sens, à dresser une sorte de monument à cette corporation. D'ailleurs, je les trouve eux-mêmes monumentaux, un rien figés, avec une telle matière sur leurs peaux assombries par la houille qu'on les prendrait presque pour des statues. D'une certaine manière, je trouve leur saleté et leur rudesse trop "propres", ça donne une certaine forme de romantisme dans la description. Il y a bien sûr beaucoup d'empathie, de compassion, de reconnaissance dans ces images.
Avedon, au contraire, n'a pas une once de romantisme, il est cruel, d'une certaine manière, il laisse les gens à leur solitude intrinsèque d'être humain, sorte de dénominateur commun à tous ses sujets. La force de l'image provient quasiment de son seul regard, distancié, décalé, pas de l'attitude ou de l'allure des gens qu'il photographie. Son regard est implacable, sans coeur, on a presque l'impression que décrire les gens ne l'intéresse pas. C'est tout l'opposé de l'empathie de Chao pour ses mineurs. On imagine que Chao parle avec ses collègues au moment de la prise de vue, alors qu'Avedon doit dire aux gens "mettez-vous là devant l'écran blanc," et c'est tout. Chez Chao, j'ai l'impression que les gens prennent un peu la pose, conscient de l'importance du truc, alors que chez Avedon, ils ont l'air de ne pas savoir quelle contenance adopter.

On pourrait se demander aussi quelle est la fonction du fond blanc chez chacun des deux photographes. Je ne crois pas que ça fonctionne tout à fait de la même façon chez les deux.

Marc


 
 Re: L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: Nico 
Date:   05-05-2003 17:33

Bonjour!

Eh bien à vrai dire, je ne mettais pas en opposition les deux photographes (je ne suis pas assez spécialiste d'Avedon en plus), mais quand je parlais d'affinité, je voulais dire qu'il y a cette manière commune de dresser un petit théâtre avec un fond blanc et une chambre, et de photographier. Je ne pense pas pour autant qu'Avedon laissait faire (je pense aux images de son père, de Chaplin), mais une fois encore, je ne le connais pas assez; le regard qu'il porte qur ses sujets ne peut pas être neutre ni, selon moi, cruel pour autant. Ceci dit, le rapport des gens avec le studio ou la chambre ne peut pas être le même non plus dans les deux cas: même si les chambres sont encore très largement utilisées par les photographes (pour les photos d'identité par exemple) en Chine, je décèle un recul dans le regard des mineurs qui n'apparaît certes pas dans celui des sujets d'Avedon que j'ai en tête, mais Song Chao n'est pas Richard Avedon, ils ne travaillent pas avec les mêmes sujets au même endroit ni de la même manière.

Cette affinité (ou celles que j'évoquais plus haut) m'est venue assez rapidement et instinctivement, la "réflexion" est arrivée ensuite…

N


 
 Re: L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: Marc Genevrier 
Date:   06-05-2003 07:24

Vous avez raison, bien sûr, au premier abord, on pense fatalement à Avedon, parce que le dispositif est le même : des gens photographiés dans un environnement naturel, mais sur fond blanc, le grand format, le noir et blanc, etc. Mais c'est justement parce que ça se ressemble beaucoup qu'il est intéressant de creuser ensuite la réflexion, je trouve.

Coïncidence, je me suis bien amusé pour Pâques avec mes enfants et neveux et nièces, devant un simple écran de projection de diapos installé dans un coin du jardin, à l'ombre - mais j'ai utilisé un 6x6 à main levée et des films couleur. Ce qui est très étonnant, c'est que la simple présence de l'écran instaure immédiatement un côté solennel, théâtral, il y a un lieu qui se crée, une scène devant le fond neutre. Les enfants prennent immédiatement la pose, ou bien sont intimidés par l'impression qu'il se joue quelque chose d'important. Et on sent à quel point la relation qu'on entretient avec le sujet va immédiatement ressurgir dans les photos.

Marc


 
 Re: L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: cartou patrick 
Date:   06-05-2003 09:04

Bonjour Marc

Par pure et saine curiosité (j'ai aussi des enfants que je ne sais plus trop comment photographier...15 à 20 ans !), serait-il possible de voir un de ces clichés pascals de votre cru ?

Patrick Cartou


 
 Re: L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: Marc Genevrier 
Date:   06-05-2003 10:07

Bien sûr, Patrick, avec plaisir. Je vous prépare un ou deux jpeg et je vous passe ça par mail.

Marc


 
 Re: L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: Jimmy Péguet 
Date:   07-05-2003 10:31

Marc,

Un petit mot sur Avedon. Je ne vois aucune cruauté dans les portraits des Visages de l'ouest. De la manipulation, de la stratégie certainement, Avedon le dit lui-même. Chaque portrait est très individualisé, chacun porte une histoire qu'on prend en pleine gueule, mais on a l'impression qu'Avedon sait exactement ce qu'il cherche et veut faire ressortir au moyen de la tension des corps qu'il créée, qu'il a en tête dès le départ la vision d'ensemble, qui entre autres, à mon sens, est de dire que ce qui fonde, qui fait la force, qui lie, qui est toujours le moteur de ce monde, ce sont ces choses brutes et brutales qu'il donne à voir au travers des corps, le travail le plus dur, les pulsions, les naufrages, les fissures, le sexe, l'amour, la violence, la dinguerie. Toutes choses que la culture essaie de digérer.


 
 Re: L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: Marc Genevrier 
Date:   07-05-2003 10:49

Oui, je crois que tu as raison, Jimmy. Je ne pensais pas à une cruauté volontaire, sadique, mais plus à une sorte de cruauté par omission (comme il y a un mensonge par omission), par ce regard cru, cette absence de compassion. J'ai l'impression qu'Avedon n'apporte aucune consolation à ces sujets. Après la prise de vue, ils sont sans doute aussi seuls au monde, aux prises avec ces forces que tu décris très bien, qu'avant la prise de vue. Enfin, c'est comme cela que je le ressens.

Marc


 
 Re: L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: Jimmy Péguet 
Date:   07-05-2003 11:21

Marc,

Je ne comprends pas bien pourquoi tu cherches de la compassion et de la consolation ici ?


 
 Re: L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: Joël Pinson 
Date:   07-05-2003 11:25

Marc,

Tu dis: <J'ai l'impression qu'Avedon n'apporte aucune consolation à ces sujets.>
Comment ca pourrait se traduire, la consolation qu'il pourrait leur donner, en photo s'entends, je ne vois pas bien...


 
 Re: L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: Marc Genevrier 
Date:   07-05-2003 11:34

Disons la chose différemment : est-ce que les gens photographiés par Avedon se trouvent beaux sur les photos ? Est-ce qu'ils sont fiers de ces images et du moment qu'ils ont vécu avec le photographe ? Le plus souvent, j'en doute. Par contre, je crois que la réponse est certainement oui pour les mineurs chinois. Les sujets de Chao sortent grandis de la séance de prise de vue, peut-être pas ceux d'Avedon.

La consolation, je crois que c'est celle que l'on procure à des gens simples, à des anonymes qui mènent une existence difficile quand on leur accorde de l'attention au moment où on les photographie. Il n' y a pas forcément besoin d'attendre qu'ils voient les images pour qu'ils le ressentent ou pas, ne serait-ce que dans le contact qu'ils ont eu avec le photographe.

On pourrait dire pour simplifier que Song Chao s'intéresse à la beauté des gens, Avedon peut-être plus aux laideurs de l'espèce humaine en général, dans le sens où Jimmy l'a décrit.

Notez que je ne porte pas de jugement sur les deux approches, j'essaie juste de voir ce qui me semble différencier les deux.

Marc


 
 Re: L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: Joël Pinson 
Date:   07-05-2003 11:49

D'accord pour ta définition de la consolation, mais alors il est quand même difficile de savoir si "on leur accorde de l'attention au moment où on les photographie" à la seule vue des photos, non? Peut-etre qu'Avedon a voulu les images que nous voyons mais que la relation qu'il a eu avec ces gens n'est pas celle que tu imagines ou celle que les photos te laissent imaginer. A moins d'avoir l'avis d'Avedon lui-même (que je connais mal) je ne vois pas ce qui permettrait de conclure. Il me parait toujours difficile d'interprêter la démarche artistique d'un artiste quel qu'il soit. Par contre de susciter des discussions comme celle que nous avons à la seule vue d'une oeuvre d'art, ca me parait être la vraie force de l'Art.


 
 Re: L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: Jimmy Péguet 
Date:   07-05-2003 12:30

D'abord, il me semble qu'en dehors du portrait commercial, les désirs et les intérêts du photographe et du photographié sont souvent très éloignés.

D'autre part, je suis Joël, on ne sait pas comment se sont déroulées les séances, même s'il y a pas mal de choses écrites à ce sujet. Comment se sont faites les rencontres, les choix, combien de temps ça a duré, les protagonistes se sont-ils revus... Il y a également une différence entre la manière dont on reçoit une photo de soi isolée, même si on a l'habitude des portraits, et la même photo vue dans un ensemble, avec un projet abouti à la clef.

Ces photos me semblent très différentes de ce que cherche l'intellectuel apprivoisé de caricature qui va voir Tyson massacrer un faire-valoir, ou de celui qui lit les compte-rendus de boxe dans les colonnes de Libé, parce que là serait la vraie vie, notre part animale. Je vois In the american west comme un film, plein de travail dur, de sang, qui parle de notre relation aux animaux, qui parle du froid et de la chaleur qu'on rencontre parfois et qui passe vite, peut-être, qui parle de la survie, j'y vois un photographe qui prend la route dans la tradition américaine et qui propose une mythologie qui en vaut d'autres, et ça marche parce que c'est Avedon, et qu'il connaît bien les images, qu'il sait ce qu'on peut leur faire dire quand on les lèche, qu'on voit toujours le reste de son travail derrière.

Une autre chose me surprend, Marc, dans ce que tu dis : tu parles de laideur. Je ne vois pas de laideur là-dedans.

Il y a bien entendu un choix de personnages qui a valu à Avedon des volées de bois vert à la sortie du livre, ma


 
 Re: L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: Jimmy Péguet 
Date:   07-05-2003 12:54

... flûte, je ne sais plus ce que je voulais dire :-) qui devait être forcément passionnant, sinon que je ne te suis pas bien dans ton résumé sur la beauté et la laideur.


 
 Re: L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: Marc Genevrier 
Date:   07-05-2003 13:48

Bien sûr que je n'ai pas assisté aux séances d'Avedon. Je me fais mon film en quelque sorte, à partir de ce que je ressens et précisément pour essayer d'exprimer ce que je ressens.

Jimmy, tu me prends trop au pied de la lettre. Vaine subtilité de langage, j'ai mis laideurs au pluriel, c'était pour reprendre ton idée de choses "brutes et brutales", si tant est que la beauté cherche souvent à lisser tout ça ou à idéaliser pour faire l'impasse sur ces choses-là.

Marc


 
 Re: L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: Nico (193.252.172.---)
Date:   07-05-2003 13:51

Bonjour!

Ah, ça fait plaisir de lire des échanges comme celui-ci!

La laideur, la cruauté, l'exaltation… Je crois que beaucoup de ces sentiments que nous lisons dans telle ou telle image, justement, c'et souvent nous qui les lisons. Je ne connais pas suffisamment (peut-être même ne les connaitrai-je jamais suffisamment) les deux photographes "en lice" pour savoir quel sens est donné à voir, donc je regarde ces images comme si quelqu'un me donnait quelque chose en disant "tiens, c'est pour toi" (titre d'un bel album d'Antonin Louchard, soit dit en passant) ou "tiens, si tu veux, jette un œil". Et a priori, je ne sens pas de volonté de magnifier les mineurs chinois (si photographier des amis ou collègues n'est pas, en soi, une manière de magnifier quelqu'un(e)), mais ce n'est que mon regard.

Un certain poème sur une charogne n'exalte pas la pourriture, je crois. De même, une série de portraits ne signifie pas forcément une volonté d'exalter (ou dénigrer, ou…) une communauté de gens, même quand les artifices techniques ressemblent à de la mise en scène, ou à une forme de protocole. Mais encore, là aussi, ce n'est que mon point de vue…

En tout cas, ces images ne laissent pas indifférent, et c'est une bonne chose!

N


 
 Re: L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: Jimmy Péguet 
Date:   07-05-2003 14:02

Jimmy, tu me prends trop au pied de la lettre.

Bien sûr que non ! C'était seulement ton résumé que je trouvais rapide !


 
 Re: L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: henri peyre 
Date:   07-05-2003 22:12

"mais plus à une sorte de cruauté par omission (comme il y a un mensonge par omission), par ce regard cru"
Cela me fait la même chose.


 
 Re: L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: Jimmy Péguet 
Date:   08-05-2003 07:46

Si la discussion vous intéresse toujours, j'aimerais bien que Marc et toi reveniez sur la "cruauté par omission". J'ai lu à plusieurs reprises des commentaires sur la cruauté d'Avedon dans ce livre, mais ce n'est pas de cette cruauté-là dont vous parlez. Je ne comprends pas bien de quoi vous parlez.


 
 Re: L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: Marc Genevrier 
Date:   09-05-2003 09:57

Je ne sais pas si le terme est le bon, je voulais surtout dire qu'Avedon n'est pas un sadique, qu'il ne cultive pas la cruauté, c'est plus le résultat, dans l'absence de compassion (je me répète, pardon, je ne sais pas comment dire) qui est un peu cruel, parce qu'il montre les gens tout nus, finalement, avec leurs travers, leurs failles, certains ont carrément l'air bêtes, etc. C'est presque la neutralité de la représentation (d'où mon idée d'ommision) qui fait que, parfois, c'est presque cruel.
Si tu veux, j'ai un texte intéressant sur Avedon dans un bouquin de Pierre Borhan, je peux te le copier.

Marc


 
 Re: L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: henri peyre 
Date:   10-05-2003 08:40

Les êtres ne sont pas faits que de leurs apparences. Ils ont leurs odeurs, leurs mouvements, leurs attitudes, leurs sentiments, leurs destins... Or la photographie en tant qu'elle attrape l'image tend à ne reproduire que leurs apparences.

D'où la question qui se pose au portraitiste, même simplement réaliste : comment suggérer ce que la photographie ne peut pas montrer en tant que technique afin de rendre compte au mieux des êtres ?

Là commence le cadrage, la composition, la juxtaposition, le travail de dérivation des couleurs, la suggestion... les moyens artistiques mettons.

Si je me limite dans ces moyens (exprès ou pas), je dessèche la personne représentée. Je la renvoie à sa seule forme, je nie l'être en le dépouillant. Mon regard peut alors être perçu comme cruel - parce qu'il revient à nier que l'être soit plus que sa forme.

----je grossis un peu Jimmy ;-) -----

Cette cruauté est probablement une façon de parler plus de soi que de ses modèles. Il y a toute une attitude devant la vie, le lien à autrui etc. En ce sens, dans l'attitude actuelle de l'art, qui est très égotique, le procédé sera perçu comme fortement artistique et intéressant.


 
 Re: L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: Jimmy Péguet 
Date:   10-05-2003 09:20

J'entends bien ce que vous dites tous les deux, mais je ne peux pas m'empêcher d'y voir une vision un peu réductrice du portrait, ce doit être pour ça que je grossis :-). Il y a les portraits, et il y a l'ensemble. Je vais encore grossir :-), mais il me semble que vous prenez les portraits et que vous ne regardez pas l'ensemble (je grossis, hein). Ces portraits me paraissent, comment dire, honnêtes. Avedon ne joue pas la proximité, la compassion. Il voyage, rencontre, choisit et photographie des gens qui ne font pas partie de son monde, une heure, une journée. Mais il donne à voir quelque chose de profond chez les gens qu'il photographie. Ce qu'il leur donne directement, je ne le saurai jamais, et je m'en fiche un peu. Mais ils ne sont pas des prétextes, des apparences, des enveloppes vides. Il n'y a pas que de l'égotisme ici, Avedon va vraiment se frotter à un autre monde. Ce qui m'intéresse, c'est ce qu'il me propose, la part d'ombre, la lumière et la force sans que je n'aie le sentiment qu'il utilise ses modèles, sans que je n'y voie des trucs et du métier. Oui, bien sûr, j'y vois le métier, j'y vois le bourgeois raffiné, c'est ce frottement-là qui m'intéresse. D'où vient le fait que moi, justement, "je vois, je sens leurs odeurs, leurs mouvements, leurs attitudes, leurs sentiments, leurs destins..." avec des limites, évidemment, que je ne sente pas ces gens niés, que je ne voie pas comme cruel le regard d'Avedon, que je ne voie pas que les moyens, que j'aie l'impression qu'il me donne à voir quelque chose de lointain ?

J'ai encore grossi ? :-)

Pour Marc : je suis évidemment preneur du texte.


 
 Re: L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: Jimmy Péguet 
Date:   10-05-2003 10:57

Seigneur, comme je regrette qu'un forum ne soit pas l'endroit idéal pour discuter de ces choses, et comme je déplore d'être lourd et de ne pas savoir exprimer de manière plus fine et nuancée ce que je cherche quand je tourne autour de quelque chose !

Henri, tu dis : Cette cruauté est probablement une façon de parler plus de soi que de ses modèles. Il y a toute une attitude devant la vie, le lien à autrui etc. En ce sens, dans l'attitude actuelle de l'art, qui est très égotique, le procédé sera perçu comme fortement artistique et intéressant.. Phrase dans laquelle, plus qu'un constat, je me trompe peut-être, je ne peux pas m'empêcher de lire un certain agacement. J'avoue que je me moque un peu des peurs et fascinations supposées d'Avedon, et qu'elles ne m'intéressent que si elles éclairent le propos et l'oeuvre, qui me semble ici dépasser de loin la mise en avant de l'inconscient du bonhomme. A quel moment l'égotisme dont tu parles prend-il le pas sur l'oeuvre ?

Il y a une photo sur tes murs, que tu montres également dans ta galerie, celle de l'enfant avec le nuage. J'aime (on s'en fiche ici) énormément cette photo. J'aime cette idée du nuage qui traverse les photos. J'aime la légèreté de ces photos, le vent qui les traverse, j'y vois des tas de choses, certaines qui passent fugitivement, que je ne peux nommer, j'y vois également l'idée d'Henri du bonheur, des petites choses, son rapport au monde. Ce que tu me montres, c'est aussi, lieu commun, la part de toi qui les nourrit. Est-ce que ce n'est pas une parfaite illustration de ta phrase ?

Il n'y a pas de recherche de polémique ici, je cherche seulement à comprendre où tu te situes par rapport au procédé dont tu parles.


 
 Re: L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: henri peyre 
Date:   10-05-2003 23:02

Si je parle du rapport égotique au monde qui est devenu la norme c'est sans acrimonie et tu as raison, comme beaucoup d'autres, je suis aussi dedans.
Maintenant sur ce forum tu as des photographes qui prônent l'attitude d'ouvrier-photographe (Henri G), d'autres qui voient dans l'image la seule façon d'accéder à un réel qui reconstituera une histoire et des faits (et permettra un combat) (Tin), d'autres qui s'inquiètent de la résonnance morale de leurs actes photographiques (Marc G).

Toute photographie est nourrie du rapport qu'on a au monde, c'est bien évident. Mais on arrivera à l'égotisme me semble-t-il au moment où on sacrifiera le sujet au pur style, à une sorte de dérive personnelle, à une systématisation qui ne s'intéresse plus au sujet autrement que comme prétexte.
Je pense que c'est probablement parce que ce mépris du sujet me gêne énormément que j'ai ainsi tendance à effacer les yeux des personnages quand je les "utilise" dans une stylistique qui m'est propre. En leur retirant les yeux j'ai l'impression de ne pas avoir abusé de leur propre image et finalement d'être resté dans une honnêteté fondamentale à la fois par rapport à eux et à ce que je voulais dire.

Dans sa photo Avedon n'a pas de ces scrupules et je trouve ainsi naturellement (confronté au point de vue que je viens d'exprimer) ses photographies très grossières par rapport au champ de l'intime et du rapport juste aux choses qui m'intéresse. Mais cette grossièreté (pour moi) est une violence qui donne de la voix aux photographies. Elles se mettent à hurler ainsi plus qu'il ne faudrait et cela est constitutif d'une force.

Maintenant, enfin, je distingue les photographies qui hurlent - on les regarde mais elles lassent - et les photographies dans lesquelles on tombe. Ces dernières sont silencieuses et ce sont mes préférées. S'il fallait même donner une raison objective, je dirais que le silence est à coup sûr constitutif de l'essence de la photographie. Et je n'aime pas entendre brailler le photographe, après qu'il ait coupé toute langue à son sujet. Il faut beaucoup d'absence pour faire une bonne photographie silencieuse et surtout celle du photographe !


 
 Re: L'œil électrique, un jeune photographe…
Auteur: Nico 
Date:   11-05-2003 15:30

Bonjour!

Merci à vous pour cette lecture… Même si je rejoins Jimmy quand il dit Seigneur, comme je regrette qu'un forum ne soit pas l'endroit idéal pour discuter de ces choses, et comme je déplore d'être lourd et de ne pas savoir exprimer de manière plus fine et nuancée ce que je cherche quand je tourne autour de quelque chose !

Si tu veux, j'ai un texte intéressant sur Avedon dans un bouquin de Pierre Borhan, je peux te le copier.

C'est possible aussi d'en voir une copie? Merci!

N




 
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