Auteur: henri peyre
Date: 02-03-2003 22:52
Si on considère dès le début qu'on ne peut pas rendre compte de la réalité telle qu'elle est, on est obligé (sauf à se taire) d'en rendre compte par équivalence :
On suggérera en peinture le mouvement par un effet de touche par exemple, on suggérera également une forte lumière par un contraste de couleur particulièrement violent, qui n'existait pas dans le réel, mais qui seul peut rendre compte de l'effet que le réel a produit sur nous. Autrement dit, dans la démarche artistique, on a tendance à se placer tout de suite dans l'hypothèse que la réalité échappe à nos moyens de la représenter, et qu'on ne peut témoigner que des effets qu'elle produit sur nous. La suggestion du réel se fera par équivalence.
Si on prend la photographie - face à un réel qui en plus d'être image et couleur est aussi profondeur, son, odeur et mouvement - on ne peut que convenir de son incomplétude et se dire que, là aussi, il va falloir suggérer.
A partir de là il peut se produire une dérive (artistique) - elle vient forcément - qui consiste à augmenter ces effets. Au départ on peut avoir l'impression que l'artiste, dans son style, voit la nature différemment. Bientôt, dans la reproduction systématique du tic gestuel, on s'aperçoit que la réalité n'est plus regardée, que l'artiste n'est plus au service de cette émotion. C'est le triomphe du moi. Dans ce jeu entre le réel et celui qui le regarde, celui qui regarde est devenu le seul monde, qui se regarde !
Notre époque flatte ce penchant. Il faut dire que la consommation pour se bien porter a besoin de flatter aussi le moi. Commerçants et critiques sont donc à l'unisson et la pression est forte !
A partir du moment où l'expression des effets du monde est supplantée par l'expression des effets comme monde, on passe du réalisme au décoratif.
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