Auteur: Emmanuel Bigler
Date: 14-03-2005 15:31
Le raisonnement est un peu compliqué mais il expliquerait pourquoi le phénomène rencontré par J.P. Planchon n'est pas apparu de façon évidente auparavant.
Amis lecteurs peut-être est-il plus sage d'imprimer sur papier ce long message pour le lire ;-)
Le phénomène que nous montre J.P.P est le suivant : apparition d'un effet de trapèze sur l'image d'une grille lorsque le plan du film est parallèle au plan de la grille, l'optique étant basculée.
Tous les cours de photo grand format disent qu'il n'y a pas de trapèze si et seulement si on maintient le plan du film parallèle au plan de la grille ou de la façade de l'édifice photographiée. Donc allons-nous nous fâcher avec nos bons maîtres, du R. Bouillot de chez Paul Montel (pour les amateurs) au prof' de photo de Vaugirard (pour les professionnels) ?? certainement pas ! au contraire ce sera l'occasion d'envoyer un petit mot aux bons maîtres pour leur faire ajouter un paragraphe dans leurs cours !!
Pour simplifier, il y avait autrefois deux catégories de photographes au grand angulaire, les chambristes avec leurs optiques quasi-symétriques et les réflexistes avec leurs rétro-focus. Les réflexistes en principe ne basculent pas, ou du moins s'ils basculent comme avec un TS-E le font bien plus rarement que de décentrer nous dit H. Gaud.
Les réflexistes sortaient leur chambre plutôt que leur reflex sans mouvement chaque fois qu'ils avaient des fuyantes à rendre bien parallèles, et lorsqu'ils reprenaient leur moyen format ils vivaient avec le trapèze plus ou moins bien selon l'exigence du client. les deux mondes ne se croisaient donc pas ou si rarement que l'affaire J.P.P aurait pu rester inconnue sans l'arrivée fracassante de la bête-numérique chez les chambristes, à leurs corps (avant:arrière) défendant, d'ailleurs ;-)
La situation du 24mm TS-E est celle d'un rétrofocus sans doute à fort grandissement pupillaire supérieur à 1, donc pour lequel (cela se démontre, je ne rentre pas dans le détail) les pupilles ne sont pas situées dans les plans principaux, et donc pour lequel les centres des pupilles ne sont pas aux points nodaux (ç.à.d aux points des plans principaux, quand on est dans l'air, situés sur l'axe optique ; on laisse le cas du 24 TSE en immersion eau/air pour un autre jour).
Or le problème identifié par J.P.P se produit pour une image très défocalisée. On doit donc s'interroger sur la façon dont cette pseudo-image se forme. Une pseudo-image défocalisée est formée de la réunion de petites taches de flou qui sont la projection cônique sur le détecteur de la forme de la pupille de sortie. Le centre de cette projection cônique est l'image nette où tous les rayons issus d'un point objet se croisent.
Pour simplifier on va définir la pseudo-image comme la réunion des centres de ces taches de flou c'est à dire que la pseudo image d'une grille se construit en cherchant où les rayons issus de l'objet, passant par le centre de la pupille d'entrée et sortant au centre de la pupille de sortie vont percer le plan du détecteur, et ceci presque indépendamment de la position de l'image nette. Pas tout à fait indépendamment car l'image nette définit le centre de projection pour les taches de flou et donc la profondeur de champ, pour l'instant on ne s'en préoccupe pas, on cherche simplement la géométrie et la distorsion éventuelle de la pseudo image.
Dans une optique quasi-symétrique les pupilles sont aux points nodaux. Traçons un éventail de rayons issu de la grille objet, passant par le centre de la pupille d'entrée qui est, dans ce cas particulier, au point nodal objet ; à cet éventail de rayons correspond en sortie un éventail issu du centre de la pupille de sortie est aussi le point nodal image. Dans le cas particulier de l'optique symétrique les angles de l'éventail de sortie coïncident avec les angles de l'éventail d'entrée par propriété des points nodaux de conserver l'inclinaison des angles par rapport à l'axe optique, du moins si l'optique est orthoscopique.
Partons d'une conjugaison plan-plan parallèles bien mise au point, tordons l'objectif dans tous les sens, l'éventail de rayons passant par le centre de la pupille d'entrée voit en sortie ses angles conservés pour l'éventail issu de la pupille de sortie, cet éventail perce le plan du film exactement comme dans une projection cônique de type sténopé, et cela quelle que soit l'inclinaison de l'optique, on en déduit que quel que soit l'angle de bascule et quelle que soit la défocalisation induite par la torsion de l'optique dont nous nous moquons (puisque nous cherchons à savoir uniquement où les rayons issus du centre de la pupille de sortie percent le détecteur pour y fabriquer la pseudo-image), l'image de la grille est homothétique et non distordue puisque la famille de rayons de l'éventail de sortie est aux mêmes angles que ceux d'entrée, comme dans un bête perspective cônique.
Or une perspective cônique n'induit aucun effet de trapèze entre deux plans parallèles. Les cercles restent cercles même en bord de champ, même si les sphères prennent une forme patatoïdale, c'est un autre problème.
Or les images de J.P.P montrent un effet de trapèze. Donc il y a quelque chose qui cloche. On peut invoquer la distorsion de l'objectif, mais on peut aussi aller un peu plus loin en excluant a priori cet effet qui doit en pratique se mélanger avec celui que nous décrivons ci-dessous.
Ce qui cloche est tout simple. La pseudo-image issue d'un rétrofocus basculé, dans son tracé symbolique qui suffit à résoudre la question d'existence ou non d'un effet de trapèze, se situe toujours à l'endroit où les rayons issus de la pupille de sortie vont percer le détecteur. Mais hélas le centre de cette pupille de sortie n'est plus le point nodal image. Dans l'espace objet, les rayons correspondant à cet éventail passent par le centre de la pupille d'entrée qui est toujours le centre de perspective mais qui n'est plus le point nodal objet.
DONC IL Y A DISTORSION ANGULAIRE ENTRÉE/SORTIE ENTRE LES DISTRIBUTIONS DE RAYONS PASSANT PAR LE CENTRE DES PUPILLES.
Donc la pseudo-image défocalisée d'une grille à mailles carrées se projetant sur un plan parallèle au plan d'entrée avec des angles différents sera donc a priori distordue dans le cas général. Attention : bien évidemment dans une vraie conjugaison plan-plan avec un rétrofocus à faible distorsion les choses rentrent dans l'ordre, du moins au plan de netteté ; mais le raisonnement angulaire valable même pour tout plan défocalisé, celui du sténopé, tombe en défaut.
À ce stade du raisonnement, il est un peu difficile de prédire l'effet de trapèze vu par J.P.P. ne serait-ce que le sens du trapèze en fonction de sens de la bascule ; mais la conclusion intéressante est que dans un rétrofocus très dissymétrique bien que dépourvu de distorsion au sens optique du terme, il n'est pas a priori interdit qu'un un effet de trapèze apparaisse entre un objet à grille carrée et sa PSEUDO-IMAGE PROJETÉE sur un plan parallèle à l'objet. Prenons cela comme un conjecture à réfuter, pour l'instant je ne vois pas ce qui l'empêcherait.
Bien entendu dans n'importe quelle optique basculée où on place le détecteur au sens de Scheimpflug, donc basculé dans une autre direction, on a du trapèze mais c'est normal et cela existe dans toute optique.
Ma conclusion provisoire et très qualitative est donc simplement : la construction classique de perspective cônique suppose sans le dire la conservation des angles entre l'éventail d'entrée et l'éventail de sortie. Cette hypothèse s'applique parfaitement à nos bonnes optiques de chambre quasi-symétriques non rétrofocus. Elle tombe en défaut avec un rétrofocus très dissymétrique basculé.
Que se passe-t-il en réalité ? très difficile à dire sans faire un lancer de rayons avec un logicile de simulation. On peut également imaginer que la distorsion classique qui est très dépendante de la position du diaphragme apparaisse dans des pseudo-images défocalisées par un autre mécanisme compliqué.
La vraie question est : combien ! on voit bien que l'effet de trapèze tombe près de zéro dans une optique quasi symétrique dès que les plans entrée/sortie sont parallèles. Ne connaissant pas avec précision les positions des pupilles et des points nodaux du TS-E24mm (qui pour le coup ne sont plus confondus !!) il est difficile d'essayer un tracé sur papier pour comprendre ce qui se passe. Par là-dessus cet angle de bascule placé de façon exotique pour bien obscurcir les choses...
Donc tout est possible dans ce cas y compris des images comme celle de J.P. Planchon ;-) mais on n'exclut pas un effet pervers de la distorsion résiduelle sur une image défocalisée !
De mon côté j'en reste avec une petite chambre et un petit objectif en forme de "diabolo" qui ne me fait pas tant de "diableries" ;-)
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