Auteur: Marc Genevrier
Date: 17-02-2003 18:06
Poussons les choses un peu à l'extrême. Pour un physicien, les objets qui nous entourent ne sont, somme toute, que des amas d'atomes. Impossible d'y déceler le moindre sens, tout du moins un sens tel que ceux que nous suggèrent la morale, la culture, notre vision du monde, etc. Tout au plus ces atomes et ces particules se contentent-ils d'obéir aux lois de la physique, c'est tout. Pas très folichon ! C'est une grande question pour beaucoup de physiciens, vous savez qu'Einstein a pratiquement réfuté toute sa vie la mécanique quantique parce qu'elle choquait sa croyance en Dieu (pour simplifier).
Autre exemple plus réaliste : les enfants ne voient pas du tout les choses avec le même regard que nous. C'est vrai pour leur sens du beau et du bien, bien sûr, mais aussi de l'utile, par exemple. Et ils sont aussi capables d'une cruauté incroyable avec les petites bestioles qui peuplent nos prairies. Comment expliquer cela ? Ils n'ont pas appris, tout simplement, ils n'ont pas notre culture. On pourrait multiplier les exemples, il suffit de penser aux différences de perceptions et de regard sur le monde entre, notamment, les peuplades dites primitives et nous. Ce qui choque les uns plaît parfois aux autres, même le deuil n'est pas vécu du tout de la même façon, je ne sais même pas si la notion de deuil existe dans toutes les civilisations.
C'est en cela que, pour moi, la réalité ne peut témoigner que d'une chose : de sa stricte présence, a priori dépourvue de sens et de valeur particulière. C'est d'une neutralité morale ou éthique dont je parle ici. Dans l'absolu, l'abattoir n'est en somme qu'un amas d'atomes qui s'agitent. Il ne devient vraiment un abattoir que dans notre regard, avec tout ce qu'il y a de culturel et de moral qui va avec. Maintenant, je suis bien d'accord avec vous : considérer que l'aventure de l'espèce humaine se réduit à un simple soubresaut de la matière cosmique sur elle-même n'est pas très plaisant, et c'est là que la question du divin intervient dès lors qu'on tente de trouver un sens qui aille au-delà de cet aléa des lois quantiques. Quand je dis divin, je l'entends au sens très large, je doute qu'on puisse vivre sans aucune croyance ou foi d'aucune sorte, ne serait-ce que la foi dans l'Homme ou quelque chose de ce genre. Justement parce que, sinon, le monde serait parfaitement insupportable de non-sens.
Evidemment, j'ignore complètement si l'évolution de l'univers a un sens ou non. C'est là encore une question de croyance. On a le droit de penser que tout cela est régi de main de maître par un créateur éventuel, auquel cas la finalité de l'amas de particules qui constitue l'abattoir, même si elle nous échapperait complètement, existerait bel et bien. Nous ne serions pas qu'un "soubresaut de la matière". En somme, les lois de la physique seraient là au service d'un grand dessein qui nous dépasserait. Je veux bien, mais je préfère tout de même m'en tenir à des certitudes plus bassement humaines, comme la culture, la morale, les valeurs d'une civilisation, etc. Et de ce point de vue là, le réel peut avoir un sens pour un groupe d'individus partageant des valeurs ou une culture commune, mais ce n'est qu'une réduction : par essence, au sens le plus large, le réel me paraît neutre et ouvert à tous les possibles.
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