Auteur: Nicolas Marailhac
Date: 01-10-2004 14:36
Bonjour,
Merci d'avoir ouvert cette nouvelle discussion (même si je pense qu'il eût fallu reprendre les quelques termes ayant mené à celle-ci dans la précédente, histoire de poser quelques bases).
Quelles sont les conséquences esthétiques de l'utilisation d'un médium qui tendrait à une neutralité idéale, à une forme d'effacement?
Je fais un parallèle avec deux autres choses:
- en littérature, le narrateur omniscient que l'on oppose souvent au narrateur Je, l'un représentant une forme d'objectivité, l'autre une subjectivité facilement assimilable;
- en photographie, certains travaux de l'école allemande dans la lignée des travaux des Becher: transparence de l'outil photographique, systématisme de la démarche, technique d'une très grande maîtrise, etc.
En littérature, l'utilisation du narrateur omniscient me laisse en général assez indifférent (au sens où ce n'est pas un élément sur lequel j'achoppe), tandis que je me projette dans ou je rejette assez facilement le point de vue du narrateur subjectif. Soit. Mais je ne vais pas parler de littérature, je ne suis pas écrivain. :-( Petit cou de coude à Michel G. (je vais de ce pas pratiquer la dépendance à une quelconque drogue dure ou douce pour la mieux déconseiller à mon voisin de palier, c'est une bonne idée)
En photographie, les travaux remarquables de l'école allemande me laissent souvent aussi admiratifs (les portraits de Thomas Struth!) que souvent embarassé (j'ai pu m'en expliquer ici en ces termes: Pour ma part, je ne sais pas très bien quel point de vue adopter face au travail d'Andreas Gursky, en particulier face à ses images géantes d'ensembles (que ce soit des bâtiments ou certains rayonnages). J'admire la perfection technique, j'admire la reconnaissance dont il bénéfécie sur le marché de l'art, mais je ne suis pas à l'aise quand il me propose son point de vue, très ambigu je trouve: derrière la perfection monumentale de ses images, très lisses, très transparentes, il nous fait croire qu'il s'efface pour nous laisser seuls à voir, pour nous donner à voir de manière transparente; pour nous donner à voir des scènes assez simples ma foi, mais en nous plantant là, seuls, forcément le doute s'insinue. Je n'aime pas que l'on me fasse douter en ne me donnant aucune raison, ce serait comme d'avoir peur dans le noir, cela tombe dans le domaine d'une certaine psychose (légère! :-)). Je me sens comme le jouet d'un esprit qui a une certaine conscience de sa supériorité, de la valeur de son regard, un esprit qui me propose sa vision mais qui ne me donne rien d'autre. Comme quelqu'un qui, face à un paysage, me dirait en me tendant sa paire de jumelles: "tiens, regarde, tu verras."
D'une certaine manière, je trouve que le fait qu'il réussisse à installer en moi cette espèce de doute est assez remarquable en soi. D'où mon intérêt pour ce travail.) C'est que le point de vue tendant à la neutralité me semble spécieux: soit il n'assume pas sa subjectivité, ce que je ne trouve pas pertinent comme argument, soit il l'assume parfaitement, au contraire, et sait que d'une certaine manière je perdrai pied: n'ayant, en aucune manière, le recours au regard assumé de quelqu'un, je me perds, je doute, et finalement je suis réduit à l'impuissance. D'où, en fin de compte, une espèce de méfiance que j'ai vis-à-vis de ces pseudo-neutralités qui portent les germes de tous les contrôles.
En d'autres termes, l'effacement de l'auteur m'intéresse autant que de regarder un courant d'air: j'y ai très peu à questionner.
Ceci dit, Guillaume propose l'effacement du medium et non celui de l'auteur.
Quant à moi, je mélange allègrement les deux car je ne conçois pas de medium non assumé par son auteur (ce qui rejoint l'idée qu'il y a forcément quelqu'un derrière un viseur). Et quand bien même il n'y en a pas (dans le cas des images aériennes par exemple) je pressens toujours une volonté (ça me rappelle certaine discussion où il était dit qu'image = message…)
Cela peut-il permettre de reformuler notre rapport au monde?
Il faudrait déjà y arriver. Ensuite, je ne pense pas, non. Ce qui change le monde, c'est de voir autrement, ou plus loin. En ce sens, la photographie numérique ne changera pas tant notre rapport au monde que ne l'a fait l'apparition de la photographie.
[…]
En y repensant, peut-être que si. Je me souviens d'une anecdote, qui prend place dans la gare d'une petite ville au milieu des montagnes dans les Alpes du sud. Un matin, un train de nuit arrive, tout rempli de collégiens qui se préparent sans doute à quelque chose comme une classe verte. J'entends l'un d'eux: «Waaah! C'est trop beau! On dirait une image de synthèse!»
Peut-être que le numérique vient nimbé d'une aura de perfection technique, voire même d'une capacité à révéler le beau (autre anecdote: certains appareils numériques avec un mode "portrait anti-rides", véridique) que l'on ne peut même pas voir en vrai?
Alors peut-être qu'au bout d'un moment, on finira blasé. Ah bon, on l'est déjà?
Enfin, moi, pour ce que j'en pense… D'ailleurs, n'y portez pas trop attention, je ne pratique pas la prise de vue numérique!
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