Auteur: Nicolas Marailhac
Date: 20-09-2004 09:38
Bonjour,
Une fois n'est pas coutume :-), je vais me redire: Internet ne rend pas hommage aux images des ParkeHarrisson. Leur livre, The Architect's Brother, paru chez Twin Palms Publishing, est déjà une meilleure porte d'entrée dans leur univers.
J'apprécie énormément leur travail, car plastiquement c'est d'une part énormément de boulot, mais surtout c'est magique dans le sens où toute la lourdeur de création de leurs images est invisible: tout semble simple et à sa place, comme s'il avait juste suffi de quelques accessoires, un peu de lumière, un appareil, clic, et un peu de temps sur les épreuves. Magique aussi car on entre dans ces petites images comme dans un univers de féérie, de conte, de ces contes où tout n'est ni rose ni optimiste, univers que l'on retrouve du côté d'auteurs d'œuvres en images animées, je pense aussi bien à des cinéastes qu'à des animateurs en particulier d'Europe de l'Est. Images et univers qui peuvent être très dérangeants certes, mais qui ont été créés, qui existent, qui nous sont proposés, et qui méritent un minimum d'égards. Je ne parle pas de compréhension, attention.
Ce que je respecte dans le travail de ces créateurs qui nous proposent des mondes cauchemardesques (rapidement, je citerais David Nebreda, Joel-Peter Witkin, mais franchement pas le couple ParkeHarrisson: la poésie nous laisse un espace échappatoire), c'est que par leur démarche, s'attaquant à eux-mêmes, ils s'en prennent à nous. Démolition du mythe du spectateur innocent, sans qualité. On s'en prend à nous, notre culture personnelle et générale, notre rapport au monde, au corps, à soi, etc. Et là, choc. Insupportable. Souvent, refus de porter un regard vers le travail, vers sa possible validité. Refuge simple derrière le rempart classique: monde de cauchemar, nihilisme, enfermement forcené, sadisme ou masochisme ou les deux, etc. Il y a bien sûr du vrai là-dedans, c'est indéniable. Ces personnes ont sans doute l'esprit hanté de quelque chose qui nous est au mieux étranger, au pire qui nous dégoûte. Est-ce que pour autant leur travail ne mérite pas attention?
Je repense à quelques passages de Mythologies, de Roland Barthes. Où il s'en prend souvent à l'anti-intellectualisme, comme ici, dans l'article Poujade et les intellectuels (les textes ont été écrits entre 1954 et 1956: cinquantenaire!):
«…les intellectuels […] sont «le tambour qui résonne avec du vent»: on voit ici apparaître le fondement inévitable de tout anti-intellectualisme: la suspicion du langage, la réduction de toute parole adverse à un bruit, conformément au procédé constant des polémiques petites-bourgeoises, qui consiste à démasquer chez autrui une infirmité complémentaire à celle que l'on ne voit pas en soi, à charger l'adversaire des effets de ses propres fautes, à appeler obscurité son propre aveuglement et dérèglement verbal sa propre surdité.»
Bien sûr, les écrits datent. Bien sûr, comme souvent, les propos de Barthes sont à double tranchant et peuvent sans grande difficulté se retourner contre lui (mais il a tiré le premier).
Ce que je voudrais souligner, c'est qu'en photographie comme en toute chose, il est important de ne pas s'arrêter au premier abord, au simple visible des choses. Sans avoir besoin de recourir à la psychanalyse pour étudier tout, une simple patience face aux choses, le temps de les laisser venir à soi, est souvent beaucoup. La première impression est souvent intéressante, rarement la plus fine.
L'exercice est certes d'autant plus difficile en photographie où seule l'image nous parle, mais la gageure est d'autant plus intéressante.
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