Auteur: Jean-Louis Llech
Date: 25-08-2004 10:28
Dans un autre sujet, j'ai développé mon parcours depuis plus de 30 ans.J'ai longtemps travaillé au moyen format, carré, rectangulaire...Et puis, un jour j'ai basculé dans le grand format.
Je tiens à dire sans exagération aucune que l'achat d'une chambre a été un des plus importants moments de ma vie de photographe.
Une ouverture sur un autre monde. Pas seulement par la taille des négatifs, (à une époque je comparais la taille de mes négatifs 4½ x 6 avec celle des 24x36, et je trouvais ça génial !), mais surtout par le bouleversement dans l'approche de la photo que cela induisait.
Déjà, la vue d'un paysage au travers du dépoli d'un 6x6 ou d'un 6x7 (pas en regardant dans un petit oeilleton, mais en regardant dans un viseur à capuchon, par dessus) est un spectacle impressionnant.
Si vous êtes un individu hyperactif, qui vivez à 100 à l'heure, qui aimez griller de la pellicule, alors restez au 24x36, ou passez au moyen format avec autofocus et moteur. Il y en a franchement de très bons : Contax 645, Hasselblad 4½x6 etc... et ils vous procureront certainement de grandes joies.
Par contre, si vous êtes capable de rester assis une demi-heure sans rien faire que regarder un paysage, si vous aimez ces moments contemplatifs, où vous voyez tout le monde vous doubler sur la route de la vie, et où vous ne ressentez aucun esprit de compétition, aucune envie de les rattraper et de les doubler à votre tour, si vous pouvez admettre que la mise en place d'un appareil photo soit une sorte de cérémonie, si vous pouvez accepter de ne faire qu'un seul cliché par jour, (et de n'en avoir qu'un seul de très bon par mois), alors, vous êtes prêt pour le grand format.
Vous pouvez mettre un sachet de thé dans de l'eau chaude, et le boire, ou commencer une cérémonie du thé, qu'on appelle la voie du thé, le chadô en japonais, et qui peut durer de trois quarts d'heure à plus de trois heures.
L'art du thé est un art que l'on peut qualifier de total, puisqu'il inclut l'architecture, la peinture, l'art floral, la calligraphie.
Cette cérémonie acquiert une véritable dimension esthétique :
"L'hôte s'assoit lentement devant les invités, nettoie symboliquement la cuillère, le bol et la boîte à thé avec un tissu de soie, le fukusa, remplit la bouilloire avec de l'eau, tirée d'une jarre en terre au moyen d'une louche, puis pose la bouilloire en fonte sur le brasero à charbon de bois.
Le thé vert en poudre, le matcha, a été écrasé sous une meule de pierre. Le thé japonais n'est pareil à nul autre : un peu âcre, doux-amer, très parfumé, avec des senteurs herbacées, une poudre verte aux reflets blancs, fine, très volatile.
L'hôte enlève le couvercle en ivoire, doublé d'une feuille d'or, de la boîte à thé, en porcelaine ou en laque. La boîte à thé a été préalablement sortie de sa housse de soie, elle même placée dans deux autres boîtes.
Le thé est délicatement déposé dans le bol en céramique, le chawan au moyen d'une longue cuillère en bambou, le chashaku.
Quand l'eau chaude chanoyu est frémissante, elle est versée sur le thé en coulant le long de la cuillère en bambou. Le thé est battu pour obtenir un mélange mousseux de couleur vert jade à l'aide d'un petit fouet en bambou, le chasen.
Lors de la cérémonie du thé, tous les invités boivent dans le même bol et, par respect envers l'hôte et les autres invités, le bol doit être laissé propre après avoir servi. Une autre forme de respect, de l'homme et de la nature.
Le bol a une face avant et une face arrière. La bouche des invités ne doit pas toucher la face avant et c'est pour celà que le bol est tourné d'un demi tour, avant et après avoir bu. L'invité s'approche à genoux, il boit alors trois gorgées, puis complimente l'hôte sur le goût du thé. Ensuite il essuie l'endroit où ses lèvres ont touché le bol, avec une serviette, le kaishi, et passe le bol au second invité et ainsi de suite."
(Compilation personnelle partielle des gestes du chadô).
"Le simple geste de servir du thé et de l'accepter avec reconnaissance constitue le fondement d'une manière de vivre, appelée chadô, la Voie du thé. Servir un bol de thé conformément aux règles de l'étiquette, c'est réaliser une large synthèse culturelle aux idéaux élevés impliquant divers éléments relevant de la religion, de la morale, de l'esthétique, de la philosophie, de la discipline et des relations sociales.
Celui qui étudie la cérémonie du thé apprend à disposer les objets, à comprendre le rythme et les poses, à apprécier l'élégance des gestes et à appliquer cet enseignement à la vie quotidienne. Tout cela apparaît dans le simple fait de servir et de recevoir un bol de thé, et n'est accompli que dans un seul but : atteindre la sérénité de l'âme, en communion avec ses semblables à l'intérieur de notre monde. C'est en cela que la Voie du thé a une signification de nos jours.
Avec un bol de thé, la paix peut vraiment régner. En prenant un bol de thé, un sentiment de paisible plénitude peut être partagé et poser les fondements d'une manière de vivre.
L'harmonie de l'hôte et de l'invité, créée par la rencontre de deux coeurs et le partage d'un bol de thé.
(Soshitsu Sen : "Vie du thé, esprit du thé")
La photographie à la chambre est aussi une succession de gestes techniques, ordonnés. Si on en oublie un, on rate la photo. Si on en intervertit deux, on la rate aussi.
Pour moi, la photographie à la chambre relève de plus en plus d'un cérémonial très proche de celui du chadô, où chaque mouvement, chaque acte a sa propre importance et sa propre signification.
Nous sommes dans la droite ligne du bouddhisme zen, et du concept zen du wabi[/I], qui est la recherche de la sérénité de l'esprit au travers d'actes d'une extrême simplicité :
"wa, kei, sei, jaku" : harmonie, respect, pureté, sérénité.
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