Auteur: Nicolas Marailhac
Date: 10-08-2004 15:39
Bonjour,
Christian, je ne sais pas si c'est la concision de mon propos qui vous met dans de tels états, mais je vous en prie, essayez de relire ce que j'ai écrit, ou alors laissez-moi le temps de préciser les choses.
Quand je lis Exprimer le message est le rôle de l'artiste. N'êtes vous pas de cet avis?, moi je vous réponds que non, pas nécessairement, en présentant des cas où la portée d'une œuvre ne serait que peu de chose sans le travail de compréhension d'une tierce personne.
Ce qui ne veut pas dire, et que je n'ai jamais exprimé, qu'un artiste se doit de passer par le canal d'un autre pour parler de son travail, voire que le fait de vouloir le faire lui-même lui soit interdit.
Vous me prêtez une intention que je n'ai pas.
Vous dites: En quelque sorte, il existe des photographes qui voient l'artiste comme la main d'œuvre de celui qui pense mais ne sait pas s'exprimer en dehors de la parole? Et en limite on pourrait interdire à l'artiste de penser?
Je prends sur moi cette phrase, je me sens un peu visé. Vous utilisez des termes que je n'ai jamais employés ("ne sait pas", "interdire"), je pense que vous portez mon propos plus loin que ce que je voulais dire (mais il est vrai que je n'ai pas bien eu le temps, ce matin, d'approfondir). Et je réfute en bloc ce que vous proposez.
Quand je dis qu'un artiste n'est pas nécessairement le mieux placé pour parler de son travail, je ne lui interdis pas de le faire, suis-je assez clair? Par exemple, je trouve que Julio Cortàzar (accent à l'envers!) parle mieux du jazz que ce que peut en dire Lucky Peterson, je trouve que Jacques Dupin parle mieux du travail de Mirò (accent à l'envers aussi mais je sais pas faire autrement) que ce que j'ai pu en lire. Je dis parle au sens que ces gens-là expriment incomparablement mieux, par la voie/x de la poésie ou de la fiction, la portée humaine, mystique, plastique, physique ou cosmique, tout ce que vous voudrez, de ce que ne savent que pressentir les artistes concernés quand ils sont aux prises avec les mots. Certaines personnes sont comme l'albatros de Baudelaire quand on les écarte de leur pinceau, de leur scène, de leur viseur ou de leur instrument: incapables, maladroits, gauches, voire risibles, oui.
Vous dites Croyez vous qu'il n'y ait de "vrai" artiste que les fous à lier, incapable d'ordonner leurs idées qu'ils aient à ce point besoin de l'assistance des psy et autres thérapeutes à la mode? Oui, bien sûr! C'est d'ailleurs pour cette raison que je sais que je n'en serai jamais! :-)
Sérieusement, qu'est-ce qui, dans mes propos, le laisse entendre? J'ai eu le malheur d'aborder le thème de l'art brut, parce que c'est une forme d'expression qui m'interpelle (parmi tant d'autres choses), est-ce que le fait de m'y intéresser laisse sous-entendre que je dénigre toute autre forme d'expression? Si selon vous c'est oui, alors je pense que nous ne sommes pas faits pour nous comprendre.
Qui parle de parole si l'art est un langage ? Pensez vous qu'entre l'image et le cerveau il faille à tout prix passer par le langage d’un spécialiste pour expliquer ce qui doit se comprendre uniquement par le regard et la sensibilité?
Je ne dis pas que il faut ou que il doit, mais je dis qu'il est possible, que c'est un possible qui peut être plein de sens, qui peut ouvrir des portes vers la compréhension. Mais, en un certain sens, j'irais dans le sens de l'intention que vous me prêtez: ce n'est pas vraiment une surprise (nous avons déjà discuté de ceci il y a quelque temps), mais je crois (sans en être certain, attention!) que sous nos latitudes, en dernier recours, c'est le verbe qui nous sert le plus souvent comme meilleur outil d'expression, que ce soit des sentiments, des réactions, de tout ce que peut provoquer notre rapport au monde, et donc à ce que nous voyons. Bien sûr, certaines choses se passent de mots de la même manière que certaines personnes danseront mieux un sentiment qu'elles ne le diront, ou le peindront, ou le chanteront, mais le vecteur le plus efficace de la transmission est, selon moi, le verbe. Par contre, si vous voulez continuer à discuter sur ce sujet, faites une recherche sur le fil ouvert dessus, quitte à le reprendre si cela vous intéresse.
Le non figuratif peut avoir besoin de l’assistance intellectuelle des spécialistes du genre, encore qu’à mon avis, si l’œuvre par elle même n’est pas lisible sans interprète, le but, la raison de l’œuvre n’est pas atteinte, et l’artiste s’il ne sait pas se mettre à un niveau compréhensible, ferait mieux de faire autre chose.
Là je ne vous suis plus tout à fait. Par exemple, comment pourrais-je lire une peinture figurative du dix-septième siècle comme le Dessert de Gaufrettes de Baugin, si on ne m'en explique pas la composition, les règles qui en ont ordonné les lignes de force, ce que ces lignes représentent, et ce que cela signifie? Bien sûr, je peux voir une jolie nature morte, mais je ne vois que la façade du propos. De la même manière, comment lire l'Enterrement à Ornans, ou le Déjeuner sur l'herbe, si on ne m'en présente pas le contexte? Bien sûr, ce sont des peintures avec des gens assez facilement identifiables, qui ont des poses ou des attitudes assez compréhensibles, etc. Mais cela n'est qu'une façade. Il est faux de croire qu'une peinture figurative n'est qu'un décalqué du visible. De tous temps, l'image a été conçue par et pour des initiés. Un amateur de bande dessinée ne lira pas un fanzine comme un premier lecteur, un photographe ne lira pas une image photographique comme un simple passant, un religieux ne lira pas une icône comme un amateur, etc. C'est comme cela, je ne dis pas que c'est bien ou mal, je dis que c'est comme cela et il est illusoire de penser qu'une image se suffit à elle-même.
De la même manière je pense que votre phrase l’artiste s’il ne sait pas se mettre à un niveau compréhensible, ferait mieux de faire autre chose dénote (mais peut-être me trompé-je) une certaine conception de l'art qui, entre autres choses, doit pouvoir véhiculer un message accessible. Or je pense que sur cette question les artistes ou leurscommanditaires ont tranché, depuis longtemps: comme on ne sait pas à partir de quel seuil une œuvre sera compréhensible du plus grand nombre (ce qui pourrait mener à un appauvrissement du sens pour faciliter la compréhension), on produit en tendant vers le plus juste, peut importe, presque, que seul un petit groupe de gens en saisissent la portée.
À l'inverse, des gens produisent des choses, images, textes, sons, qui sont très facilement compréhensibles du plus grand nombre: les cinémas, la télévision, les librairies, les bacs de disquaires en sont remplis. Certaines fois, je trouve que cela ressemble plus à du nivellement par le bas d'un message, quel qu'il soit, qu'une recherche personnelle à défaut d'être artistique.
Il n'y a pas plus grande frustration que de voler la paroles aux autres.
Là je suis pleinement d'accord avec vous! :-) De la même manière qu'il ne faut pas faire dire n'importe quoi aux autres!
Et enfin, au risque de vous choquer, je dirais que pour moi, une œuvre, toute monumentale soit-elle, n'a de sens que si c'est un outil permettant à ceux qui la font et/ou la voient de se mieux comprendre, ou plutôt, de savoir se poser les questions qui font sens. Ainsi, une œuvre n'est qu'une chose qui aide à comprendre comme un verre est une chose qui aide à boire ou à faire des ronds dans la pâte. Le photographe ou le peintre, en ce sens, ne sont plus qu'au service premièrement de leur propre compréhension (ou pulsion mais je pense que c'est la même chose), de la nôtre (et donc de celle de charlatans et autres critiques, philosophes ou je ne sais quoi) ensuite.
Quant à la question sur la qualité de l'image etc. je pense avoir donné mon point de vue.
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