Auteur: Emmanuel Bigler
Date: 10-05-2004 12:50
Même Radio-Paris avait annoncé des conditions hivernales sur les Vosges et le Jura ; les plus raisonnables des autochtones du Grand Est étaient donc remontés, qui au Ballon, qui au Larmont, pour le plaisir de la dernière (?) séance de neige fraîche en buvant un bon thé à la santé du Réchauffement Inéluctable de la Planète.
D'autres, sans doute moins raisonnables, s'étaient retrouvés à l'abri et bien au chaud dans les locaux d'Objectif Image Côte-D'or, à l'invitation de MM. Aviet et Gaillard, pour s'initier sous la direction de Pierre Zeler à l'un des procédés photochimiques anciens les plus accessibles aux débutants : le cyanotype.
Depuis l'invention de ce procédé (vers 1860) le nom original de ferro-prussiate semble avoir été un peu délaissé par la terminologie française au profit de "cyanotype" : les participants venus de Metz et Strasbourg pourraient y voir une réminiscence de ce qui se passa dans leur région vers 1870, la Prusse ayant alors assez mauvaise presse aux yeux des français. Amis québécois férus de terminologie francophone : n'oubliez pas ce détail historique dans votre Grand Dictionnaire Terminologique, vous comprendrez peut-être une subtile différence d'usage de part et d'autre de l'Atlantique.
Pierre Zeler attaqua assez sec avec l'analyse en termes de zones d'une scène paysagère destinée à être rendue sur différents procédés, de la gomme bichromatée au platine en passant par l'argentique classique et le cyanotype ; confusément on sentait faiblir dans les rangs de l'assistance studieuse les irréductibles anti-spotmètres qui se gardèrent bien d'objecter qu'avec une mesure sélénium en lumière incidente ils en auraient fait autant. On ajoutera même en pensant à ceux qui combinent la double irréductibilité anti-spotmètre et farouchement euro-patriote, que des prosélytes avaient (habilement) disposé dans un coin rien de moins que deux beaux exemples de spotmètres aus Erlangen.
La pluie persistante obligeant à une prise de vue en studio, se posait la question du sujet-test à enregistrer. En un tournemain, M. Aviet --que d'aucuns avaient discrètement dénoncé comme étant un maître ès-éclairages-- nous équipa d'une robuste table lumineuse et de diverses sources tungstène.
Restait le choix du sujet. Personnellement, l'idée de déguiser Henri Peyre en Chanoine Kir pour un portrait à la chambre rendu sur cyanotype me semblait opportune ; en particulier la combinaison d'une Tri-X en 4"x5", derrière une Sinar P2 équipé d'un Apo-Symmar, et pour un cyanotype final, rendrait-elle justice à la fine texture du béret de laine et aux complexes surplis du célèbre chanoine-maire de Dijon ? L'autre idée que je gardai pour moi aurait été une étude de rendu en camaïeu de bleus de Prusse de la gamme complète des Moutardes locales ; j'y renoncai car on m'aurait peut-être accusé d'être par trop lié avec quelque syndicat interprofessionnel des condiments bourguignons.
Le sujet choisi fut donc une autre spécialité bourguignonne : les bouteilles de verre vides élégamment disposées sur leur table dépolie. Je m'empresse d'ajouter que ces bouteilles étaient dèjà vides au début de la séance (je sais comme nos lectrices et lecteurs sont prompts à ironiser). Je précise donc que les seuls litres (officiellement) vidés pendant ces deux jours se composaient des liquides suivants :
solution A : citrate de fer ammoniacal 20 gr, eau Q.S.P 100 ml
solution B : ferricyanure de K. 16 grs, eau Q.S.P. 100ml plus 10 à 60 gouttes de bichromate à 1%.
Acide chlorhydrique à 10% (pas plus acide que le "coca", avec le sucre en moins)
Développement supports intermédiaires pour ceux qui refusent encore le 20x25 à la prise de vue : HC-110 dilution 1+19 (inter-positif) et 1+10 (négatif final).
C'était merveille que de voir cette douzaine de chambres techniques pointées avec application vers ce superbe sujet verrier ; au milieu d'un aréopage d'appareils fabriqués à Schaffhouse, sans oublier la touche de raffinement d'une ou deux chambres japonaises en bois-précieux-et-titane, une modeste Kardan Standard ne fléchissait pas et s'accomplit de sa tâche avec sérieux. Oui, je sais, vous attendiez peut-être l'évocation d'une autre marque sous ma plume : vous en serez pour vos frais. (Merci à Claude E. pour le prêt gracieux d'une 4"x5").
Ah le miracle de la photochimie avec Pierre Zeler aux manettes, le plaisir de la diapositive noir et blanc intermédiaire, travailler avec le plan-film ortho en voyant ce qu'on fait... et la magie de l'image photochimique, oui, j'attendrai encore longtemps un logiciel ou un environnement de réalité virtuelle qui remplace ce plaisir-là.
Bref, deux bonnes journées avec, au dehors, une météo qui ne fléchit pas, journées où les difficultés des procédés anciens furent abordées sans détour ; je pense en particulier au choix du support-papier, une question qui se pose (à mon sens) de façon plutôt aiguë. Clairement, et je pense que Pierre Zeler en conviendra, le cyanotype ne convient pas à tous les sujets (pas si mal pour la transparence du verre !!), mais quel plaisir de fabriquer de A (comme Aviet) à Z (comme Zeler) sa propre surface photo-sensible manuellement!!
Merci donc à notes hôtes dijonnnais de leur accueil, merci à Pierre-de-Strasbourg pour son enthousiasme, sa passion et sa gentillesse : évidemment, on en redemande !!
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