Auteur: Emmanuel Bigler
Date: 18-03-2004 13:28
L'argument sur l'optimisation des optiques en fonction des formats est très simple. Je l'ai déjà évoqué mais on peut redire les choses de façon différente.
Une classe d'optiques de chambre (grand angle, standard, longue focale, télé) est conçue pour un format donné avec une marge de décentrement donnée et des contraintes données de performance, poids et prix. Nous allons raisonner par exemple sur la famille des "standard" de chambre 70-75 degrés, de formule quasi-symétrique à 6 lentilles. Par exemple un Apo-Symmar® de chez Schneider ou un Apo-Sironar® de chez Rodenstock (je ne connais pas, du moins, très mal, les autres fabricants non-européens ;-)
Tous les objectifs d'une même famille se ressemblent, on pourrait même dire à peu de choses près qu'ils se déduisent l'un de l'autre par une similitude, c'est à dire l'opération consistant à multiplier toutes les dimensions par le même facteur égal au rapport des focales. En réalité ce n'est sans doute pas tout à fait le cas, mais c'est une bonne base de raisonnement.
Le meilleur diaphragme pour un objectif donné est indiqué par le fabricant, c'est celui où les aberrations géométriques résiduelles contribuent à peu près autant que la diffraction à la dimension finale de l'image d'un point lumineux, image qu'on aimerait idéalement réduite à un point infiniment petit (et extrêmement brillant, d'ailleurs). Dans l'opération de similitude qui fait passer d'un 100 (pour le 6x9) à un 135 (pour le 9x12), à un 150 (pour le 4"x5" =10x12,5) à un 210 (pour le 13x18), la contribution des aberrations géométriques à la tache résiduelle augmente, en diamètre, comme la focale. La tache de diffraction, ou du moins la contribution de diffraction si on pouvait oublier les aberrations, elle, est constante à ouverture relative "N" donnée. Le résultat de cet effet et la conséquence de ce modèle simplissime est que le meilleur diaphragme n'est pas le même à l'intérieur d'un même famille d'optiques ; le nombre N du meilleur diaph croît proportionnellement à la focale.
Par exemple en compilant les objectifs standard de chambre du 6x7 (il y avait des 80 pour chambres de presse) au 20x25 cm, on remarque que le meilleur diaphragme suit à peu près la loi empirique : N_opt= f(en mm)/8. Par exemple pour un 80 N_opt sera f/10, pour un 100 mm ce sera f/12,5, pour un 160 ce sera f/20, etc... jusqu'à f/37,5 pour un standard de 300 couvrant le 20x15.
Tout ce long préambule pour en arriver la conclusion : quelle est la qualité d'image obtenue au meilleur diaphragme ? pour cela il faut faire une supposition à la louche qui consiste à dire qu'on a, au meilleur diaphragme, une tache résiduelle d'environ 1,4 fois la tache minimale qui serait celle de la diffraction seule. C'est peut-être 1,2 fois ou 1,5 fois, peu importe mais le coefficient doit assez peu varier d'une focale à l'autre à l'intérieur d'une même famille. Pour mettre un chiffre là-dessus, en prenant une longueur d'onde réaliste de 0,7 microns pour la formule de diffraction, on trouve finalement que la limite de résolution dans ce modèle vaut, en prenant le coefficient 1,4 de brouillage :
res(pl/mm) ~= 1000/N_opt.
la formule ne dépend plus directement de la focale, mais du meilleur diaph, qui lui s'écrit environ N_opt = (f en mm)/8, ce qui nous donne finalement
res (pl/mm) ~ 8000/f(en mm)
on trouve : 100 pl/mm pour un très bon 80 mm, c'est ce qu'on obtient en pratique mais en 6x6 avec un 80 sans mouvements, 80 pl/mm pour un très bon 100 mm de chambre pour le 6x9, c'est un peu optimiste, c'est le chiffre qu'on trouverait en extrapolant les 100 pl/mm d'un 80m en 6x6 vers la focale de 100 en 6x9, 53 pl/mm pour un 150 de chambre, c'est assez réaliste si vous regardez les test de C. Perez pour un Xenar® de 150,
http://www.hevanet.com/cperez/testing.html
http://www.hevanet.com/cperez/cameras/nice_lenses.html
mais ~50 pl/mm c'est une sous-estimation de la performance pratique d'un apo-sironar® au mieux de sa forme, qui dépasse les 70 pl/mm.
On va donc modifier d'un poil la formule pour la faire "coller" avec les performances réelles des 6 lentilles quasi symétriques modernes en série 72-75 degrés :
res (pl/mm, 6 lentilles modernes)=10500/f(en mm)
ce qui nous donne : ~120 pl/mm en 6x6 (très optimiste), ~105 pl/mm d'un 100 standard en 6x9 (j'aimerais le voir, je n'y crois guère) ~70 pl/mm en 10x12,5 (valeur effectivement atteinte par les meilleurs 150), et un modeste 35 pl/mm pour un standard de 300 couvrant bien le 20x25, ce qui est très pessimiste : un très classique Tessar de 300 de chez Docter est crédité de 60 pl/mm au centre à f/22 !! Sans parler des excellents Nikon M, de formule tessar, dont les résultats sont très séduisants (il a la vie dure le tessar).
Conclusions :
1/ pour avoir la meilleure performance, utiliser un 300 standard du 20x25 sur un micro-format 6x7cm n'est peut-être pas un bon choix. Hélas il n'y a pas sur le marché de 300 mm de chambre en monture libre optimisé pour le 6x7, peut-être vaut-il mieux prendre un apo-ronar de 300 à qui on demande un angle de champ plus réduit que de prendre un 6 lentilles à usage général couvrant le 20x25. Ou un bon vieux tessar déguisé en Nikon M et qu'on bride à f/9 en ouverture max (je suis donc pris en "flagrant délit" de m'intéresser aux optiques de chambre japonaises, contrairement à mes dénégations précédentes ;-) ;-)
2/ utilisées à leur meilleur diaph de f/16 ou f/22 les optiques couvrant le 10x12,5 ou le 13x18 sont tellement bonnes que les résultats pratiques sont bien meilleurs que ce que pourrait laisser "désespérer" l'extrapolation prédite par le modèle simple ci-dessus. On voit qu'un bon apo-sironar® S, ou l'un de ses concurrents, à grandissement d'image final donné, fait mieux en enregistrant des images 10x12,5 que le coûteux planar 2,8 de 80, qui devrait être capable passer 120 pl/mm sur 6x6 pour pouvoir entrer en compétition, jugement sur image finale de même dimension à agrandisseur parfait, avec l'objectif de chambre.
Moralité, utilisez en 6x7-6x9 vos très bonnes optiques de chambre prévues pour le 10x12,5 ; comme il est signalé à juste titre plus haut en travaillant au centre vous aurez le meilleur de la performance, mais ce sera les 70 pl/mm des excellents 150. Donc pas meilleur que l'optique du Mamiya 7, créditée les bons jours des fameuses 120 pl/mm... mais incapable de décentrer. En revanche, la performance des optiques de chambre se paie par la loi d'airain du meilleur diaphragme f/16-f/32 et du sujet statique sur pied.
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