Auteur: Marc Genevrier
Date: 17-07-2002 17:30
Je crois qu'il risque surtout d'y avoir appauvrissement du langage photographique s'il y a uniformisation esthétique, c'est-à-dire si tout le monde se met à faire le même genre d'images et de tirages. Mais est-ce vraiment propre au numérique ?
Vous dites que le numérique libère des contraintes techniques et vous semblez penser que le numérique produit toujours les mêmes résultats, ou prend les décisions à la place des artistes. Le côté libération technique n'est vrai que dans une certaine mesure. Je crois que faire un bon tirage numérique demande aussi pas mal de savoir-faire et d'expérience pour aboutir à un bon résultat. Depuis que je scanne, j'ai découvert combien il fallait de compétences pour équilibrer correctement les couleurs d'un tirage, je trouve ça très difficile, d'autant que je cherche un rendu particulier. Les artistes cherchent souvent à aller au-delà des recettes toute prêtes que leur imposent les matériels et les procédés. Faire une dia bien exposée, la scanner avec les réglages standards du pilote, laisser Photoshop ou autre optimiser les courbes et imprimer en demandant à monsieur Epson d'agir à son goût, c'est à la portée de tout le monde, tout autant que faire tirer sa dia par un minilab entièrement automatique. Par contre, si on recherche un rendu particulier, si on cherche à travailler dans certaines parties des courbes de densité ou de couleur, sur un papier particulier, etc., ça devient beaucoup plus difficile, même en numérique. Les possibilités offertes sont immenses, mais l'apparente facilité du numérique est trompeuse et les difficultés sont grandes, car les imperfections sont grandes aussi , pensez aux problèmes de calibrage, indéfiniment à reprendre et à améliorer ! (Calibrez avec deux mires IT8 de fabricants différents et vous verrez !)
Actuellement, je me débats avec des négas 120 Fuji NPC scannés sur Nikon, ce sont des photos de bretelles d'autoroute, de terrains vagues et d'usines au bord d'un fleuve, le matin, avec beaucoup de lumière, peu de couleurs (mon Dieu, que c'est dur à rendre en photo la couleur de l'asphalte ou du gravier légèrement brillant en contrejour !). Selon la météo et l'heure, la température de couleur change, le film enregistre tout ça. Je suis là très, très loin des photos pour lesquelles sont optimisés les paramètres standards des matériels. (même si mon Nikon était parfaitement étalonné ! :-))
Bref... Pour conclure sur ce point, je dirais qu'une fois le fichier prêt, on peut bien sûr imprimer tant qu'on veut, mais que pour arriver à ce fichier, il a fallu beaucoup de temps et de sueur (à la mesure inverse de ses compétences !) C'est donc peut-être ce fichier qui a une certaine valeur d'unicité, plus que le tirage final. C'est comme si on avait ajouté une étape intermédiaire entre le film et le papier.
Autre chose : Il se pourrait bien que le tirage d'auteur, même numérique, ne soit pas mort. Une fois que mon ordinateur sera devenu obsolète, mon modèle d'imprimante relégué aux oubliettes, il sera peut-être difficile de reproduire exactement le même tirage (avec les mêmes qualités et les mêmes défauts, sur le même papier et avec la même encre), même en disposant du fichier original.
J'aime bien votre réflexion sur la rareté de l'objet et celle de l'image (en tant que regard, en fait), elle est porteuse d'optimisme. A bas le commerce, vive l'Art ! En fait, il y a bien eu des gens à "l'époque de l'argentique" (:-)) qui collaient le négatif ou la diapo au dos du tirage unique, éventuellement en l'abîmant au passage. Et qui dit qu'ils n'en avaient pas fait de repro ? ou doublé la prise de vue ? Je crois donc que le numérique ne change vraiment les choses que dans l'esprit des collectionneurs. Pour le grand public, les grands tirages de Jeff Wall seront toujours accessibles de la même manière : par des reproductions dans des livres et, occasionnellement, par une expo ou une visite dans un musée. Tout comme les peintures de la Renaissance ! Et avec autant de pertes et de distance entre l'original et la reproduction ! Quant aux collectionneurs, je comprends bien que leur existence est nécessaire financièrement à l'art et aux artistes, mais leur situation ne m'intéresse pas vraiment. Quelle est leur influence aujourd'hui sur l'évolution de l'art et des artistes ? Posons laquestion différemment : Y a-t-il aujourd'hui beaucoup d'artistes qui travaillent en pensant aux collectionneurs ? Je ne sais pas... En pensant aux musées, ça oui (et ça n'est pas forcément un bien !).
Marc
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