Auteur: Jimmy Péguet
Date: 30-12-2005 14:05
Comme disait l'ogre en poussant la porte, "Ca sent fort la madeleine, ici...".
La question serait plutôt de chercher à reconnaître les déclencheurs du désir de photographier ; je peux citer des dizaines de photos qui pourraient être la source et ses affluents, ou seulement deux ou trois s'il le fallait. Le mystère serait plutôt le passage des images originelles aux objets originels.
Il y a un matin d'hiver la mort du grand père, les heures grises du matin, la famille rassemblée dans la petite cour, les bruits étouffés des froissements des vêtements d'étoffes lourdes et noires, les chuchotements, la lumière grise qui vient de la verrière en verre grossier du grenier. La lumière qui vient du haut.
Il y a dans une autre petite pièce de la maison blanchie à la chaux une naissance une nuit. Les allées et venues, l'eau qu'on va chercher dehors et qu'on fait chauffer, les cris, la lumière jaune de l'unique ampoule, les voix soulagées. La lumière jaune et pauvre.
La lumière jaune de l'unique ampoule encore. Cette fois c'est une mort dans la même pièce. Les voix basses. L'attente. La peau froide et cireuse ensuite. Le baiser à la morte. Les chaises, les mouvements furtifs, le silence. Le clair-obscur, la chiche lumière jaune encore. Un tableau.
Il y a les inondations effrayantes. Le fleuve qui sort de son lit sur des kilomètres dans les prés. La peur que ça ne s'arrête pas. Ca s'arrêtait parfois en contrebas au pied du cimetière. D'autres fois, ça continuait à monter. Les marques gravées dans le tuffeau des maisons, 1910, 1934, dépassaient la tête des enfants. L'inondation à perte de vue, c'était peut-être déjà la photographie à la chambre.
Il y avait les gravures et les planches d'illustrations dans les romans et les livres d'aventures du XIXème et du début XXème, avec leurs noirs et leurs dégradés de gris si particuliers, leur faux réalisme.
La rivière encore, les chemins creux, les branchages, la lumière dans les feuillages l'été. Le silence, le bruit du vent, la chaleur.
Les photos publicitaires sur le mur d'affichage de la commune, où, magie, les regards sur les affiches des vedettes qui passaient au Petit Casino du chef-lieu vous suivaient tout le temps. On se déplaçait, on essayait de leur échapper, mais quand on se retournait, la chanteuse ne vous avait pas perdu de vue. Y a un truc, dans la photo.
Les taches noires des corbeaux dans la neige au fond du long jardin du voisin. Le père ressemelant les chaussures dans la cuisine : la lumière du haut, la buée sur la fenêtre. La cuvette par terre pour se laver dans la cuisine : Ronis.
Les nanas à poil en noir et blanc au dos des miroirs publicitaires.
Le cinéma ambulant dans la salle des fêtes. Deux minutes après être entré, plus de nord ni de sud, de haut ni de bas, un grand tourbillon, plus d'entrée ni de sortie, les chaises dans tous les sens, Michel Strogoff, Le pont de la rivière Kwaï, Piedalu va-t-a Paris...
Les rêves qui reviennent, toujours monochromes, noir et blanc, ou teintés de brun, les rêves des chemins, du pont. Noir chaud : le palladium.
L'enfant qui regarde tellement intensément une chose en se répétant encore et encore son nom que la chose se vide de son sens, que son nom s'ouvre et que l'enfant entrevoit le vide.
La radio, les revues, l'information. La guerre d'Algérie à la radio, les bombes dans la Casbah d'Alger, dans Paris-Match les ravages d'Hiroshima gravés dans la peau du dos des survivants, les évènements de Bizerte, la mort de Lumumba, les silences. L'envie plus tard de photo est aussi née là, dans les toutes premières années, entre radio et magazines. L'air du temps.
Les photos après, ne font que reprendre, organiser. Un musicien de rue dans une ruelle éclairée par le haut par je ne sais plus qui, la campagne hongroise de Kertesz, l'atelier de Mondrian ou la main sur l'épaule d'Elisabeth, la veillée funèbre japonaise ou la mort de Gandhi de qui-vous-savez, l'enfant exaspéré de Diane Arbus, Viva, il y en aurait des dizaines à citer...
Ca doit être la neige qui fait causer :-) Et désolé, ça cause pas de classe J !
Jimmy
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