Auteur: Vincent Ziegler
Date: 21-12-2005 21:12
Un peu de lecture, pour rêver…
Pascal Quignard
Terrasse à Rome
(Editions Gallimard)
Meaume le graveur, Citoyen de la ville de Rome apprit à dessiner chez Follin. Il apprit les rudiments du métier de cartier et les ombres auprès de Rhuys le Réformé à Toulouse. Il apprit la taille-douce et la technique de l’eau-forte chez Johann Heemkers à Bruges. Il apprit à graver les paysages de la nature après son arrivée à Rome dans l’atelier de Claude Gellée. Il était né pour un art qui exige un sang froid et qui demande beaucoup de patience. Il eut le visage brûlé à l’eau-forte. Il ne peignit jamais. Daret obtenait les ombres en croisant les tailles ; Mellan en creusant des sillons parallèles ; Meaume en juxtaposant des petites lettres étranges. Il demandait dix mille livres par cuivre. L’estampe valait une demi-livre et l’image moitié encore.
[…]
À Paris Meaume le Graveur se fournissait en vernis chez le luthier Pardoux, dans l’île de la Cité, parce que c’était le plus dur qu’on pût trouver et acquérir. Il découvrit que le vernis noir des luthiers permettait un tracé si sec, à la pointe, que les artistes les plus avertis dans cet art le confondaient avec le stylus. Meaume le Graveur enseigna ce procédé à Monsieur Bosse, qui l’a noté dans son livre.
[…]
Meaume le graveur était devenu si habile dans le maniement du burin que parfois, après avoir fini de dessiner un cuivre destiné à l’eau-forte, il prenait sa pointe et gravait du premier jet des petites silhouettes, ou des végétaux, ou des insectes, ou des cailloux et des roches dans les espaces dont le vide gênait la vision.
Très rares sont les eau-fortiers qui voient qui voient symétrie les images qu’ils composent.
Il composait debout, penché en avant, à demi couché sur la table. Il tamponnait le vernis tiède sur son cuivre durant des heures et ne le passait jamais au pinceau.
Il noircissait au flambeau la planche de cuivre.
Après avoir gravé, il inclinait le chevalet en bois, plaçait l’auge à eau-forte à son pied, posait la plaque de cuivre sur le chevalet et jetait l’eau-forte.
Il se mettait alors à caresser l’eau forte avec une plume de pigeon pour augmenter la morsure.
Sous le couvert de son art, comme de nombreux artisans d’alors, l’eau-fortier, comme le buriniste, après qu’il s’en était inspiré ou qu’il les avait reproduites, revendait des œuvres plus anciennes auprès des connaisseurs qui s’approvisionnaient auprès d’eux.
Grünehagen rapporte ce propos de Meaume en 1652 : « On doit regarder les graveurs comme des traducteurs qui font passer les beautés d’une langue riche et magnifique dans une autre qui l’est moins à la vérité, mais qui a plus de violence. Cette violence impose aussitôt son silence à celui qui y est confronté. » Cette affirmation de Meaume le Lorrain semble répondre à celle de Mellan d’Abbeville qui disait qu’il avait toujours gravé les tableaux avec plus de feu et plus de liberté que les peintres n’en pouvaient témoigner, asservis qu’ils étaient par la multitude de leurs couleurs et par la tentation de séduire. Mellan disait même : « Ce sont la profusion des fards et celle des teintes qui ont entraîné à leur perte les mortels depuis le premier fruit. »
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