Auteur: henri peyre
Date: 23-11-2005 08:04
Ma propre expérience rejoindrait celle de David et je trouve que Philippe Do met bien les pieds dans le plat avec ses questions successives...
J'aurais tendance à penser que la loi de l'offre et de la demande règle le marché, en dépit des présences menaçantes des idéologies, de la vertu, du bon goût, du talent et du militantisme.
Pour l'offre :
en photographie l'offre d'objet est théoriquement pléthorique puisque les appareils photos sur la planète se comptent en millions et les prises de vues, par an, en milliards.
- Le photographe peut chercher à améliorer la visibilité de son offre en améliorant la qualité des prises de vues et des tirages :
par exemple, on prend la photo à la chambre, on fait de la photo en très grand format, ou on la tire au palladium par contact. Très bien, cela fait qu'on est plus visible.
- On peut jouer aussi sur le sujet. Directement, en faisant ce qui plaît au public : le client célibataire mâle hétérosexuel majoritaire préfère la femme nue ; le collectionneur peu cultivé aime la reprise des sujets des glorieux aînés, à ce moment on lui sert des tirages "à la manière de". Moins directement : en menant une recherche de pensée au moyen de l'image. On est théoriquement là dans la photographie plasticienne... mais en réalité celle-ci se contente le plus souvent de l'astuce, parce que le public a un peu de mal avec la pensée... venons-en à la clientèle donc.
Avec tous ces efforts la demande suit-elle ? D'abord pourquoi acheter de la photo ?
Le marché de la photographie d'art est encore émergent en France, mais nous suivons les américains à présent. La photo est une pratique utilitaire qui se répand en art sous l'influence des institutions (musées d'abord, puis galeries ensuite). Le marché est très organisé, tient dans peu de mains et est violemment spéculatif. Il organise la rareté par système de numérotation, spéculation, cooptation pour pouvoir garantir aux acteurs qui s'engagent les premiers la revente avec des marges positives ou, pour les musées, la confortation de la validité des choix.
Le succès de l'ensemble tient donc avant tout dans la mise en place d'une crédibilisation de l'offre. A ce stade il est important d'avoir le soutien des médias et la possibilité de réaliser quelques gros prix en salle des ventes (avoir le soutien d'acheteurs dévoués).
Ce jeu de création de valeur n'est pas fait pour le "petit photographe" qui croit que la qualité de son travail lui ouvrira les portes de la gloire et de la richesse. Il n'y a pas un seul marché en photo, et je rejoins l'analyse de David.
Le talent d'un photographe se mesure d'abord à la qualité des relations qu'il peut se faire dans le milieu qui crée et entretient le système de la valeur. Il faut aller s'agenouiller à l'église si vous voulez bouffer les osties. Ensuite, après une sélection qui en a encore trop laissé entrer, et pour ceux dont la valeur de la relation est la plus contestable, il peut y avoir un bref éliminatoire à la qualité.
Dans tout cela je ne suis pas sûr qu'on parle vraiment de photographie, mais tant que nous ne commencerons pas à penser un tout petit peu pour se demander en quoi réside la qualité d'une image, ce que nous aimons réellement dans une photographie, nous aurons un système qui est celui qu'on a sous le nez, qui est bien mérité, et le meilleur en en attendant un autre.
Tant que nous ne serons pas las de croire dans les idoles que d'autres nous fabriquent, nous aurons cela.
Maintenant lorsque nous aurons commencé à fabriquer nos propres idoles, il faudra nous souvenir de celles que nous avons abattues et bien nous garder d'imposer les nôtres. Tant que nous n'avons pas vécu cette tentation du pouvoir, nous ne nous connaissons pas !
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