Auteur: Emmanuel Bigler
Date: 22-10-2005 10:46
...est une chambre de dandy...
Un dandy sur les boulevards, il y flâne à loisir jusqu'à ce qu'une tape amicale sur l'épaule vienne lui rappeler que c'est l'heure de se diriger vers la Nievski pour l'apéro au café Pouchkine.
« - Mais c'est ce vieux Viktor Serguéïévitch ! Vieille crapule, que fais-tu ici, je te croyais pour toujours retiré dans ton domaine à Oust-Kaménogorsk !!
- Ah, ah ! Vadim Gaudinovitch, tu ne t'attendais pas à me revoir de sitôt ! Toujours aussi élégant, à ce que je vois, mais tu as besoin de trois cannes maintenant, et qu'est donc cet étrange étui à chapeaux en cuir que tu portes à ton côté, on le croirait tout droit sorti de la page 64, en bas, à la fin de La Marque Jaune de E.P. Jacobs !!
- Viktor Serguéïévitch, je vais te faire un aveu, même ma douce Elena Gaudiskaïa n'est pas au courant, il s'agit du tout dernier appareil photographique européen ; tu sais qu'à Pétersbourg, nous avons toujours été à l'affût des nouveautés de l'Ouest, je suis donc le premier photographe dans la région de Léningrad à posséder cet appareil !! »
D'un geste ample, Vadim Gaudinovitch écarte les trois cannes qui sont reliées à leur sommet par un élégant pommeau d'argent. Sous la calotte hémispérique du pommeau se cache un étau rapide finement ciselé sur lequel il pose prestement l'embase de l'étui « à chapeaux ». Deux élégantes lanières en maroquin, de chaque côté, sont tirées vers le bas, le sommet de l'étui s'escamote en un clin d'oeil, et alors apparaît un très étrange appareil à soufflet.
« - Étonnant ! Ne serait-ce pas une chambre technique ?
- Parfaitement, Viktor Serguéïévitch, et de plus elle est parfaitement adaptée à la prise de vue de ces beaux édifices que nous devons à Pierre le Grand et à la Grande Catherine ! Regarde, que vois-tu sur ce verre dépoli ?
- Hmmm... il me semble reconnaîre la Flèche de l'Amirauté, dans sa splendeur dorée, mais la tête en bas ; il faut dire que les réfections du tricentenaire nous ont coûté bien assez cher ! On en a entendu parler jusqu'à Oust Kaménogorsk ! Mais je doute que tu arrives à faire tenir tout l'ensemble dans l'image sans en raboter le haut !
- J'attendais ton objection, Viktor Serguéïévitch, mais grâce à ce petit accessoire d'extension, je peux rehausser à loisir le cadre avant sans avoir besoin de décentrement indirect !
- Hmmm... je vois, Vadim Gaudinovitch, que tu n'as rien perdu de ta belle assurance, et la Pérestroïka n'a fait qu'exacerber ta superbe, alors je vais te mettre au défi. Vois-tu, là bas, cet édifice typiquement stalinien ?
- Oui, hélas, il fait partie de cet héritage dont Pétersbourg se passerait bien, mais où veux-tu en venir ?
- Sais-tu, Vadim Gaudinovitch, que ce bâtiment est le plus haut de Pétersbourg ? Et que tu auras bien du mal à le cadrer sur ton dépoli ?
- Tu te moques, Viktor Serguéïévitch, d'abord je ne crains plus de photographier librement --autrefois, avant même la fermeture de l'obturateur, la milice était déjà là pour coffrer les photographes non autorisés--, et de plus je ne vois pas pourquoi cet immeuble serait plus haut que la Flèche de l'Amirauté !!
- Vadim Gaudinovitch, c'est bel et bien le plus haut édifice de Pétersbourg, c'était le siège du KGB, le seul édifice de toute la région de Léningrad d'où on a une vue directe sur la Sibérie !! »
(d'après Alexandre Pouchkine, Eugène Onéguine, repris dans la publicité d'une fameuse manufacture horlogère de la rive droite de la Vallée de Joux)
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